Les pratiques quotidiennes : testées, fiables et éprouvées ? Voilà pourquoi nous avons besoin de preuves
Les professionnels de la santé effectuent de nombreuses interventions établies dans le cadre des soins offerts aux patients. Les pratiques établies peuvent être si familières et si largement acceptées qu'elles ne sont pas remises en question. Elles devraient l'être. Dans ce billet je me focalise sur une pratique quotidienne des soins infirmiers, la gestion des escarres, mais j'espère qu’il sera lu dans le contexte d'autres domaines de la santé.
Dites bonjour à CiaoLesEscarres !
Que devez-vous savoir avant d'utiliser une nouvelle intervention avec votre patient ?
Imaginez que j'écris ici pour vous parler d'un nouvel appareil étonnant (appelons-le « CiaoLesEscarres ») pour traiter les escarres ou, encore mieux, un appareil qui, selon ses créateurs, éliminera le risque d'avoir des escarres. Il utilise une technologie de pointe et vous n'avez jamais rien vu de tel. Arrêtez-vous un moment avant de saisir d'une main le magnifique CiaoLesEscarres et de jeter de l'autre la peau de mouton de votre patient. Que souhaitez-vous savoir à son sujet ?
Nouvelle intervention : que devez-vous savoir ?
Vous aurez certainement besoin de savoir comment CiaoLesEscarres doit être utilisé pour qu’il puisse être à la hauteur des promesses de ses créateurs. À quelle fréquence, par exemple ? Si c'est quelque chose qui doit être appliqué de façon intermittente, l'impact sur les ressources (temps du personnel et peut-être matériel) sera beaucoup plus grand s'il faut l'utiliser chaque heure au lieu d’une fois par jour. Recevoir fréquemment le traitement incluant CiaoLesEscarres pourrait être une nuisance considérable pour vos patients aussi, en perturbant leur sommeil, en augmentant leurs douleurs et ainsi de suite. En y réfléchissant bien, vous voudrez savoir s'il y a des risques potentiels associés et ce que les patients en pensent. Vous devrez connaître les méthodes ou les techniques requises pour vous assurer qu'il soit bénéfique à vos patients et qu'il ne cause pas de préjudices. Vous vous posez peut-être aussi des questions telles que : " Est-ce que ça marche mieux avec certains types de patients qu'avec d'autres ? J'espère que vous vous demandez : "Quelles sont les preuves ?" Qui plus est, comment savez-vous que CiaoLesEscarres est meilleur que ce que vous faites maintenant à moins d'avoir des preuves solides sur l'efficacité et les potentiels préjudices de ces deux options ?
Ancienne intervention : mêmes questions ?
Pensez maintenant à quelque chose que vous utilisez actuellement dans le cadre de la prise en charge des escarres. Certaines de ces mesures sont très éloignées des technologies de pointe par exemple encourager les patients à changer de position ou repositionner ceux qui ne peuvent pas le faire par leurs propres moyens. Le repositionnement est un élément reconnu des meilleures pratiques internationales pour la prise en charge des escarres et a été mentionné pour la première fois comme méthode de prévention au milieu du XIXe siècle. Avez-vous besoin de savoir les mêmes choses à son sujet que pour CiaoLesEscarres, en posant les mêmes questions ?
Vous pourriez rapidement faire remarquer qu'en termes de physiologie du développement et de la guérison des escarres, le repositionnement est logique et cohérent. De plus, contrairement à CiaoLesEscarres, le repositionnement est utilisé depuis longtemps et semble fonctionner ; en termes de recherche, il a une " validité apparente ". Double-Check !
Maintenant, à quelle fréquence faut-il repositionner les patients ? Votre lieu de travail a de bons résultats en matière de prévention et de guérison des escarres, alors votre régime de repositionnement toutes les deux heures semble être efficace. Il en va de même pour l'hôpital X et le foyer de soins Y, où l'on repositionne les gens toutes les trois et quatre heures respectivement. En fait, à quelle fréquence les gens ont-ils besoin d'être repositionnés ? Comment pouvons-nous le savoir ? C'est important, non seulement pour l'incidence des escarres et les taux de guérison, mais aussi pour leur impact sur les patients, le personnel et les ressources.
Les lignes directrices nous le diront, n'est-ce pas ?
Quelles sont les preuves appuyant ce que vous faites ?
Bonne idée, vérifions les lignes directrices. Eh bien, cela peut être problématique. Les auteurs d'une revue Cochrane sur le repositionnement ont noté que le manque d'accord entre les lignes directrices était l'une des raisons pour lesquelles leur revue était nécessaire. Ils ont noté qu'aux États-Unis, les lignes directrices de l'Agency for Health Care Policy and Research (maintenant archivées) préconisaient un repositionnement toutes les deux heures (AHCPR 1992), tandis que le European Pressure Ulcer Advisory Panel & National Pressure Ulcer Advisory Panel et le National Institute for Clinical Excellence recommandaient un repositionnement individualisé aux besoins du patient (EPUAP/NPUAP 2009 ; NICE 2005). La recommandation indiquant de repositionner toutes les deux heures était basée sur de petites études non randomisées menées il y a plus de vingt ans et leur utilité est d’autant plus compromise par l'amélioration de la qualité des matelas et des surfaces de soutien des hôpitaux. Et les gens continuent de développer des escarres. Comment pouvons-nous empêcher cela ?
Ces lignes directrices ont maintenant été mises à jour, mais les choses n'ont pas vraiment avancé. Les dernières directives du NICE laissent les choses assez lâches ; les adultes à risque devraient changer de position " fréquemment et au moins toutes les 6 heures ", et nous devrions " envisager [le repositionnement] plus souvent que toutes les 4 heures pour les nouveau-nés ". Il n'y a pas d'accord sur la fréquence optimale du repositionnement parce que nous manquons de données probantes pour éclairer cette pratique, comme le souligne les directives du NICE. Si c'était CiaoLesEscarres et qu'il n'y avait pas d'instructions sur la fréquence d'utilisation, je pense que vous demanderiez à la connaître.
Passons maintenant à la manière de repositionner...
Ensuite, devriez-vous opter pour l'inclinaison de 30 degrés ou la rotation latérale de 90 degrés ? Que diriez-vous de choisir l'inclinaison, ou peut-être la rotation, et d'utiliser un matelas de redistribution des pressions ? Si vous utilisez le repositionnement en plus du matelas, est-ce que cela affecte la fréquence à laquelle vous devriez repositionner le patient ? Mais nous avons vu que la fréquence optimale n'est pas quelque chose dont on peut être sûr de toute façon....
Que disent les preuves les plus récentes ?
Une revue Cochrane sur le repositionnement pour le traitement des escarres de décubitus, qui visait à lever ces incertitudes, n'a trouvé aucune étude randomisée éligible. Une autre étude sur le repositionnement pour la prévention des escarres a permis de trouver trois essais contrôlés randomisés et une étude économique auprès d'un peu plus de 500 patients dans des établissements de soins aigus et de soins à long terme. Les preuves sont de très faible qualité et les auteurs de la revue concluent qu'"il n'y a actuellement aucune preuve solide indiquant une réduction des escarres avec une inclinaison de 30° par rapport à la position standard de 90° ou de preuves fiables concernant un quelconque effet de la fréquence du repositionnement". Ils notent que cela ne signifie pas que ces positionnements sont inefficaces, mais que des études de haute qualité sont nécessaires pour évaluer les effets de la position sur l'incidence des escarres et la fréquence optimale du repositionnement.
Les preuves sont importantes
Prévenir les escarres de décubitus et favoriser la guérison lorsque celles-ci apparaissent, c'est la base des soins. Vous travaillez avec une connaissance de la physiologie et des effets de la pression sur les tissus ainsi qu'avec des techniques et de l'équipement de base qui ont une solide justification théorique. Mais ça n'est pas suffisant.
Les données probantes sont importantes ; savoir ce qui a le plus de chances de fonctionner, ce qu'il faut utiliser et comment l'utiliser et pour qui, et comment éviter les préjudices. Malheureusement, la plupart des aspects de la gestion des pressions ne reposent pas sur des données probantes suffisantes, en termes d’évaluation au travers de recherches fiables. Pour les financeurs, les décideurs politiques et les professionnels de la santé, il est important de savoir ce que disent les meilleures données probantes disponibles et de préconiser leur utilisation et l’évaluation rigoureuse des interventions afin que les bonnes pratiques actuelles puissent devenir les meilleures pratiques fondées sur les données probantes de demain.
Le 17 novembre 2016, @SarahChapman30 a animé un tweetchat #WeNurses sur les escarres. Vous pouvez lire celui-ci ici.
Les références peuvent être trouvées ici.
Sarah Chapman n'a rien à déclarer
SARAH CHAPMAN, Cochrane UK
Ce billet est initialement paru sur Evidently Cochrane le 16 novembre 2016 et a été mis à jour le 8 février 2017.
Lien original : http://www.evidentlycochrane.net/everyday-practice-why-we-need-evidence/
Références : http://www.evidentlycochrane.net/wp-content/uploads/2016/11/Everyday-practice-blog-references-S-Chapman-161116-21.pdf
Traduction : MARTIN VUILLEME